Les teneurs de comptes-conservateurs (TCC) doivent-ils alerter leurs clients lorsque ceux-ci souscrivent des titres non-cotés ?
Un teneur de comptes-conservateur est sollicité par un de ses clients pour inscrire, sous la forme nominative administrée, des titres non-cotés dans un compte-titres ou un PEA. Le teneur de comptes-conservateur n’est pas à l’initiative de l’acquisition par son client des titres non-cotés : il ne l’a pas démarché ou proposé d’investir.
Le teneur de comptes-conservateur s’interroge sur le fait de savoir s’il doit alerter son client sur les risques encouru par celui-ci lors d’un investissement en titres non-cotés.
1/ Le cadre général de la réglementation financière en matière d’information du client
Les différents niveaux d’information :
Les réglementations successives, qu’elles soient internationales, européennes, ou nationales, ont imposé depuis une trentaine d’années aux prestataires de services d’investissement (PSI) dont font partie les teneurs de comptes-conservateurs (TCC), que ceux-ci soient particulièrement vigilant dans la protection de leur clientèle. En effet, avant toute fourniture d’un tel service, ces PSI doivent informer, conseiller, voire mettre en garde leur client sur l’opération envisagée.
Traditionnellement, on distingue trois niveaux d’obligations, chacun ayant ses spécificités :
- Mise en garde
- Information
- Conseil
On considère que l’information porte sur la nature et les spécificités intrinsèques des produits, des services et des opérations. Le conseil porte davantage sur l’intérêt et l’opportunité du produit ou du service au regard du profil du client. Enfin, la mise en garde implique d’attirer l’attention du client sur les risques qui peuvent exister ou se réaliser à l’occasion de l’utilisation des services ou des conséquences de la souscription d’un produit ou du passage d’une opération.
On peut d’emblée écarter l’obligation de conseil qui n’a été mis à la charge des PSI que dans une seule hypothèse (logique) : celle où le service d’investissement est le conseil en investissement (5ème service d’investissement au sens de l’article L321-1 du Code monétaire et financier).
Ne reste dès lors que le devoir de mise en garde, institué d’abord par la jurisprudence puis par la loi, et l’obligation d’information.
Le contenu du devoir de mise en garde et de l'obligation d’information :
Le devoir de mise en garde existe aujourd’hui principalement par l’article L. 533-13 du Code monétaire et financier qui prévoit en substance que, pour les services d’investissement autres que le conseil en investissement et la gestion de portefeuille pour compte de tiers, les PSI doivent recueillir auprès de leur client les “informations sur leurs connaissances et leur expérience en matière d’investissement, en rapport avec le type spécifique d’instrument financier ou de service proposé ou demandé, pour être en mesure de déterminer si le service ou l’instrument financier est approprié”.
Ce texte poursuit en énonçant que les PSI peuvent fournir les services de réception et transmission d’ordres et exécution d’ordres pour le compte de tiers et les services connexes d’investissement (dont fait partie la tenue de comptes-conservation) peuvent s’émanciper de cette obligation lorsque :
- Le service porte sur des instruments financiers non-complexes définis par décret (https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=0087F379A330AB88F99862C78E8EA442.tplgfr31s_3?cidTexte=LEGITEXT000006072026&idArticle=LEGIARTI000035530340&dateTexte=20200505&categorieLien=cid#LEGIARTI000035530340) ;
- Le service est fourni à l’initiative du client, notamment du client potentiel ;
- Le prestataire a préalablement et clairement informé le client, notamment le client potentiel, de ce qu’il n’est pas tenu d’évaluer le caractère approprié du service ou de l’instrument financier et qu’il ne bénéficie pas de la protection correspondante des règles de bonne conduite pertinentes. Cet avertissement peut être transmis sous une forme normalisée ;
- Le prestataire s’est conformé au 3ème des I ou II de l’article L 533-10.
Le devoir de mise en garde, dans sa version jurisprudentielle, s’appliquait aux opérations spéculatives. Cette notion n’a pas fait l’objet d’une définition précise et était appréciée au cas par cas. Raisonnablement, il est admis que les ventes à découvert et de dérivés sont des opérations spéculatives. Toutefois, cette notion a été appliquée aux parts et actions d’OPCVM, aux parts de SCPI mais pas pour les fonds à formules. Plus généralement, il a été admis que cette notion était fondée intrinsèquement sur l’idée de risque : lorsque le risque de perte est plus élevé que le montant investi alors l’opération est qualifiée comme étant spéculative.
Cette notion n’a pas été reprise en 2007 et 2017 lors de la transposition des directives, respectivement, MIF 1 et MIF 2. Les nouveaux textes reprennent une autre distinction qui oppose d’un côté les clients de détail et professionnels et de l’autre côté, les contreparties éligibles. Ainsi, le devoir de mise en garde ne bénéficie uniquement aux premiers. Notons qu’est professionnel le client “qui possède l’expérience, les connaissances et la compétence nécessaires pour prendre ses propres décisions d’investissement et évaluer correctement les risques encourus”.
En ce qui concerne l’obligation d’information, le code monétaire et financier précise dans son article L. 533-12 que les informations doivent présenter « un contenu exact, clair et non trompeur », étant précisé que les communications à caractère promotionnel doivent être « clairement identifiables en tant que telles ». Le texte poursuit avec des exigences quantitatives : les informations concernent le PSI « et ses services, les instruments financiers et les stratégies d’investissement proposés, les lieux d’exécution et tous les coûts et frais liés ».
Concernant l’obligation d’information, les textes ne semblent pas restreindre son champ d’application à un type d’investisseur en particulier : l’ensemble des clients du PSI sont concernés.
2/ L’application de la réglementation financière en matière d’information aux titres non-cotés
Le devoir de mise en garde applicable aux titres non-cotés
Il convient de rappeler que les titres non-cotés sont des titres financiers qui depuis une trentaine d’années maintenant, sont dématérialisés. Il en résulte que leur inscription en compte-titres est devenue primordiale pour prouver la propriété de ces titres ainsi que leur opposabilité aux tiers et à l’émetteur, ainsi que le prévoit l’article L211-16 du Code monétaire et financier.
Bien que la forme “naturelle” de ces titres soit la forme nominative, et notamment la forme nominative pure, c’est-à-dire celle où l’émetteur connaît son actionnaire et tient son compte-titres, il n’est pas rare que l’investisseur / actionnaire donne mandat à une établissement financier, un teneur de comptes-conservateur, de gérer ses titres. Ces derniers sont alors sous la forme nominative administrée. L’exemple le plus évocateur est celui d’un investisseur qui investit, à travers une plateforme de crowdequity, dans une société et qui place les titres dans son PEA.
Dans ce cas, le teneur de comptes-conservateur, qui exerce un service d’investissement connexe au sens de la réglementation européenne, et qui appartient à la famille des prestataires de services d’investissement, propose un service à l’investisseur : celui de tenir et conserver ses titres.
Dès lors, au regard de ce qui a été exposé ci-dessus, nous pouvons légitimement dire que le TCC relève de l’exception de l’article L. 533-13 III du Code monétaire et financier, à savoir l’exécution simple des ordres.







